Philosophie quantique.
Le monde est-il extérieur ?
Michel Bitbol
ÉDITIONS MIMÉSIS, 11 Mai 2023, 687 pp.
« Personne ne comprend la mécanique quantique ». Ce célèbre constat de Richard Feynman est désormais dépassé. Pour lever ce qu’on prend habituellement pour les « paradoxes » de la mécanique quantique, pour en faire une théorie claire et facilement compréhensible, il suffit de la voir autrement : non plus comme la représentation d’une réalité extérieure, mais comme un guide pour des agents cherchant à s’orienter parmi les phénomènes ni intérieurs ni extérieurs qu’ils font paraître par leurs coups de sonde expérimentaux. Ce renversement a été esquissé par Bohr dès 1927, avant d’être critiqué et presque oublié vers la fin du vingtième siècle. Mais il a été redécouvert et amplifié par les plus récentes audaces de la pensée physique, depuis l’approche quantique de l’information jusqu’au QBism (Bayésianisme Quantique), en passant par la théorie quantique du choix rationnel.
Ne s’en tenant pas à la neutralité instrumentaliste, les créateurs du QBism avancent une philosophie de la connaissance et de notre situation étonnamment proche de celle des phénoménologies de l’incarnation (de Merleau-Ponty à Barbaras et Bégout). Selon l’idée neuve de la connaissance, l’être ne se présente pas à nous comme un unique objet à voir ; ce sont au contraire nos multiples visions qui naissent du cœur éprouvé de l’être. Et selon l’idée neuve de notre situation, nous ne sommes ni des contemplateurs ni des parties du monde ; nous sommes le mouvement même par lequel un monde s’auto-objective.
Table des matières
Introduction : une « révolution quantique en philosophie » ?
Théorie quantique et art du vingtième siècle
Une révolution philosophique ?
Conceptions « réaliste » et « antiréaliste » de la théorie quantique
Peut-on réfuter le « réalisme scientifique » par des expériences sur/dans le réel ?
Les origines du débat entre le « réalisme » et l’« antiréalisme » en physique quantique (1) la critique des « images des atomes »
Les origines du débat entre le « réalisme » et l’« antiréalisme » en physique quantique (2) l’attrait persistant des images
Trois nouveaux défis au « réalisme »
Une physique de l’information (I)
La théorie quantique des choix humains (II)
Une physique des questions, et des paris sur les réponses (III)
Chapitre après chapitre
Prologue : Aux sources de la philosophie quantique, d’Héraclite à Bohr et retour
En tête : genèse du projet scientifique
Les présupposés de la science naissante
Le compromis de Platon et d’Aristote
Le dépassement des apparences, de la métaphysique aux sciences physiques
La retraite du rêve de tout expliquer, en quatre étapes
Aristote, la cause première, et l’essence des choses : échos quantiques
Du mécanisme cartésien aux diagrammes de Feynman
Des lois de Newton aux lois de la physique quantique
Le règne des probabilités pures
Sur une victoire posthume d’Héraclite et de Protagoras
Chapitre 1 : Brève histoire philosophique de la physique quantique
Qu’est-ce que la révolution quantique ? Quatre conceptions
Les « sauts quantiques » selon Emmanuel Kant
Quantification des choses, ou quantification de notre approche des choses ?
Le « rayonnement du corps noir » et son spectre
La loi du rayonnement du corps noir et l’hypothèse de la quantification
Qu’a découvert Max Planck ?
Einstein et ses photons
L’atome de Bohr et le bricolage du continu et du discontinu
La crise de l’ancienne théorie des quanta
Succès de la quantification et éclatement de la représentation de l’atome
Y-a-t-il des expériences qui prouvent l’existence de photons corpusculaires ?
Une théorie bien corroborée peut-elle prouver l’existence de corpuscules ou de discontinuités ?
Une théorie mathématiquement discontinue : la mécanique matricielle de Heisenberg
Existe-t-il pour autant des « sauts quantiques » ?
Post-scriptum aux « sauts quantiques »
Les débuts de la dualité onde-corpuscule
La mécanique ondulatoire de Schrödinger
La postérité des théories ondulatoires
Mais les ondes de de Broglie et de Schrödinger existent-elles vraiment ?
Sous l’image de l’onde : le concept et le fait de la contextualité
La physique quantique et l’aléatoire
Naissance de l’indéterminisme
Peut-il y avoir un déterminisme caché ?
Sous le déterminisme et l’indéterminisme : l’atomisme
Changer d’univers de pensée
L’indétermination quantique découle de l’intrication du connaissant et du connu
Le principe des principes
Redresser l’ordre des priorités : du connaître au connu
Chapitre 2 : Retour aux axiomes : une présentation réflexive de la théorie quantique
La mécanique quantique dans les manuels d’enseignement : une « omelette » conceptuelle ?
Les axiomes de la mécanique quantique et l’« omelette » conceptuelle
Axiome 1 : l’objet hypothétique de la physique et son espace de représentation
Axiome 2 : l’expression mathématique de l’activité expérimentale
Axiomes 1 et 2 : une relecture non-dualiste
Axiome 3 : l’estimation quantitative des probabilités
Axiome 4 : l’évolution des « états », et des probabilités, au cours du temps
Axiome 5 : sur une étrange anti-règle de transformation des « états », et des probabilités
Une conséquence de l’axiome 5 : le problème de la mesure et le chat de Schrödinger
Essais de solutions du problème de la mesure, et du paradoxe du chat : dualisme ou monisme physicaliste ?
Un essai à part pour « résoudre » le problème de la mesure : la décohérence
Critique philosophique de la « solution » du problème de la mesure par la décohérence
Un débat sur la nature des probabilités quantiques
Une autre « révolution copernicienne »
Rapatriement dans le « monde de la vie » : la réduction phénoménologique et l’épochè
Chapitre 3 : La théorie quantique vue de quelque part
Le trouble du rejet de soi
La théorie peut-elle inclure sa propre métathéorie ?
Une physique pour l’être vivant et agissant
Bohr en dépit de la décohérence
Prémices et développements de l’autre révolution copernicienne (1) Schrödinger 1935 et sa critique d’une représentation floue
Prémices et développements de l’autre révolution copernicienne (2) Peres 1982 et sa critique de la totalisation théorique
Prémices et développements de l’autre révolution copernicienne (3) Peres 1995 et son retour aux choses concrètes du laboratoire
Critique opératoire du « système »
En deçà du « système », le phénomène
Critique opératoire de l’« état »
Au-delà des systèmes et des états
Une physique à usage humain
Épistémologie d’abord : reconstructions « coperniciennes » de la théorie quantique
Limites et signification des reconstructions « coperniciennes » de la théorie quantique
Une combinatoire d’axiomes pour la théorie quantique
Transition vers le QBism (Quantum Bayesianism) : les expériences à choix retardé
S’installer fermement dans la « révolution copernicienne » : la conception subjectiviste des probabilités
Le QBism, interprétation subjectiviste de la mécanique quantique
Le QBism et l’expérience, Bohr et l’expérimentation
L’agent dans le monde, le monde dans l’agent
Comment l’agent se distingue de son monde
L’agent et ses prothèses instrumentales
L’appareil et le corps propre, de Bohr au QBism
Le lieu incertain de la mesure accomplie : de la décohérence à l’expérience vécue
Une phénoménologie hésitante
Le monde n’est pas extérieur (1) : l’opinion en-deçà de l’être et de la connaissance
Le monde n’est pas extérieur (2) : lui qui nous résiste sans nous être étranger
Une cosmologie pour l’habitant du cosmos
Les événements virtuels et leurs probabilités actuelles
Un autre aspect de la tentation réaliste du QBism
La règle de Born comme norme, et le « principe de cohérence contre le Dutch-book »
La règle de Born et son supplément de réel
La règle de Born comme lien entre diverses situations-dans-le-monde
Le QBism : une esquisse d’épistémologie transcendantale au sens de Kant ?(1) Le synthétique a priori
Le QBism : une esquisse d’épistémologie transcendantale au sens de Kant ? (2) L’unité des lois
Objectivité ou réalité de la règle de Born ?
Quatre relativités
L’auto-dissolution d’un monde relationnel : Carlo Rovelli
Sur le contexte dans lequel on peut parler de « contextes » : Alexia Auffèves et Philippe Grangier
Expériences possibles plutôt que mondes possibles : le Solipsisme Convivial d’Hervé Zwirn
Un surcroît d’objectivité : l’interprétation « pragmatiste » de Richard Healey
Que signifie « expliquer », dans l’interprétation pragmatiste de la théorie quantique ?
La trace du sujet dans le pragmatisme objectiviste de Richard Healey
Chapitre 4 : Les paradoxes finissent dès leur commencement
La théorie quantique sans les deux ombres du sujet et du monde
La réduction de l’état comme mise à jour des prédictions (1) James Hartle 1968, Erwin Schrödinger 1935
La réduction de l’état comme mise à jour des prédictions (2) QBism et pragmatisme
La réduction de l’état comme mise à jour des prédictions (3) le défi de la décohérence
La fin du « paradoxe » du chat de Schrödinger
Le « paradoxe » de l’ami de Wigner : exposé
Le « paradoxe » de l’ami de Wigner : dissolution et fin de partie
Le « paradoxe » de l’ami de Wigner : une perspective phénoménologique
Deux amis de Wigner en interaction : l’expérience de pensée de Frauchiger et Renner
Quelques dissolutions du paradoxe de Frauchiger et Renner
Premières questions sur la non-localité
Peut-on téléporter un atome ?
Un mode d’emploi de la téléportation quantique
La téléportation sans non-localité
Un événement pré-vu avec une probabilité 1 n’est pas un événement vu
La physique quantique et ses interprétations non-locales
La physique quantique sans non-localité
Une corrélation « à distance » existe-t-elle si personne ne l’a observée ?
Une physique sans événements et sans corrélations intrinsèques
Contestations du retour à la localité (1) : faut-il vraiment renoncer au « réalisme » ?
Contestations du retour à la localité (2) : à quel « réalisme » faut-il donc renoncer ?
Contestations du retour à la localité (3) : une accusation de solipsisme
La fin du rêve d’ubiquité ?
La fin du rêve d’un effet de l’esprit sur la matière ?
La fin du rêve de la transmission instantanée ?
Qu’avons-nous perdu en gagnant en sobriété ?
Un inventaire à la Prévert du « merveilleux quantique »
Petite psychanalyse du rêve d’ubiquité
Retour là où l’on est
Sur la merveille inaperçue
À l’état natif
Chapitre 5 : Sur un usage contrôlé des images du monde
Sur l’utilité pratique des « images du monde »
Un nouvel inventaire des ingrédients de l’« omelette conceptuelle »
Premier ingrédient : les mots du technicien et de l’expérimentateur
Deuxième ingrédient : les mots du mathématicien et du physicien théoricien
Troisième ingrédient : le mot « probabilité », qui unit l’expérimentateur au théoricien
Quatrième ingrédient : les mots du métaphysicien, du visionnaire, ou du candide
Le trouble est jeté sur les mots du visionnaire : le flou s’étend sur les trajectoires d’atomes et de photons
Chapitre 6 : Quelle ontologie après l’épochè ? Une approche phénoménologique de la physique quantique
La chair et le monde
De l’endo-ontologie au réalisme participatif
Audace et modestie du réalisme participatif
Merleau-Ponty et la physique quantique (1) : Par-delà le paradigme classique
Merleau-Ponty et la physique quantique (2) : Incarnation et probabilités
L’incarnation comme paradigme de l’appartenance
Du monde à l’in-mondation de l’expérience
De la chair du monde à l’appartenance
Le monde au sens de la phénoménologie
De l’in-mondation de l’expérience à l’in-expérienciation du monde
In-expériencier, in-monder : deux gestes concordants de réduction des dualités épistémologiques
Marques d’in-mondation lisibles dans le QBism (1) : L’être-situé
Marques d’in-mondation lisibles dans le QBism (2 et 3) : la dualité sans dualisme de l’origine et du thème de l’attention
Marques d’in-mondation lisibles dans le QBism (4) : le présupposé du libre-arbitre de l’agent
Le libre arbitre du physicien quantique
L’envers et l’endroit de l’événement créateur
L’endroit et l’envers de la Totalité
Un « nouveau réalisme » contextuel
Holisme et réalisme contextuel
Le réalisme contextuel et la norme de l’action dans le monde
Entre empirisme radical et réalisme
Sur la réalité de l’empirique
Retour à l’in-expérienciation du monde
Épilogue : Du monde sans nous à l’indissociable nous-monde
Des « découvertes philosophiques négatives »
Ce qu’il y a n’est pas un objet
Attrait et limites du « réel voilé »
Au-delà, ou en-deçà, du réel voilé ?
Lee Smolin et le regret de l’échec multiforme du « réalisme » en physique quantique
Un nouveau « réalisme » post-quantique est-il possible ?
Un réalisme relationnel
Le réalisme relationnel est-il un réalisme réel ?
Conclusion : fin de la théorie, ou éco-théorie ?
La surabondance des données et l’Intelligence Artificielle
Un retour en force de l’empirisme … ?
… Ou un biais empiriste introduit a priori ?
Bref portrait de l’apprentissage profond : la fin de la théorie est-elle pour bientôt ?
Critique de l’Intelligence Artificielle par apprentissage profond : la fin de la fin de la théorie ?
La valeur ajoutée de la théorisation QBist
L’archétype « naturaliste » et son dépassement
De l’éco-conscience à l’éco-physique
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